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Compte rendu Revue philosophique de la france et de l'etranger 2007/4

José Luis Moreno Pestaña, En devenant Foucault. Sociogenèse d’un grand philosophe, traduit de l’espagnol par Philippe Hunt, préface de Gérard Mauger, Broissieux (F-73340), Éd. du Croquant, 2006, 245 p. / Bernard Vandewalle, Michel Foucault. Savoir et pouvoir de la médecine, Paris, L’Harmattan, 2006, coll. « Hippocrate et Platon », 157 p. / Alain Beaulieu (dir.), Michel Foucault et le contrôle social, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, 2005, coll. « Mercure du Nord », 290 p. / Philippe Chevallier, Michel Foucault, le pouvoir et la bataille, Nantes, Pleins Feux, 2004, 96 p. / Guillaume Le Blanc, La pensée Foucault, Paris, Ellipses, 2005, coll. « Philo », 192 p.
Docteur en philosophie et chercheur en sociologie, José Luis Moreno offre une analyse solidement étayée des multiples influences qui ont pesé sur le jeune Paul-Michel ; on découvre comment il se « convertit en Michel », puis en Michel Foucault, pour « devenir Foucault » tout court. L’ouvrage porte sur la jeunesse de Foucault, analysant sa vie familiale dans un milieu de bourgeoisie provinciale (plusieurs médecins, dont son père, qui envisageait pour lui une carrière médicale), la force du stigmate invisible qu’a constitué son homosexualité, ses hésitations à différents moments clés du début de sa carrière intellectuelle, et, surtout, ses premiers textes, précédant l’Histoire de la folie à l’âge classique. Il montre le capital social mobilisé pour améliorer les conditions d’études ou pallier quelques échecs dans une carrière d’emblée brillante : changement d’établissement pour éviter au collégien « la sévérité d’un professeur radical et voltairien qui détestait les rejetons de la bourgeoisie », pour atténuer les déboires au premier concours à l’ENS, puis pour panser les déceptions de l’échec à l’agrégation (concours et non examen, erreur de détail). L’analyse est particulièrement saisissante lorsqu’elle porte sur les handicaps qui ont jalonné, et construit, la carrière du philosophe. L’A. analyse, d’abord, cette « homosexualité conflictuelle [...] sorte d’expérience originaire » qu’il fallait cacher, qui l’a conduit à préférer Paris à Poitiers, et à surinvestir dans les études. Il prend aussi en compte les tentatives de suicide (ou « mises en scène de suicide », indique Eribon) qui mettront Foucault en contact avec des spécialistes des traitements du psychisme, avant qu’il les retrouve comme professeurs et envisage de faire carrière dans ce domaine.
Son cheminement politique est mis en relation avec l’évolution de ses filiations philosophiques, notamment avec ses premières références à Nietzsche et à Bataille, alors que Foucault se disait « communiste nietzschéen ». L’ouvrage explore de nombreux domaines parce qu’il porte sur les années où l’indétermination était la plus forte dans la carrière du futur professeur au Collège de France, influencé ou tenté un temps par la phénoménologie, la tradition rationaliste (avec les influences de Bachelard et Canguilhem), la psychanalyse... avant de trouver sa voie personnelle en construisant, au sujet de la maladie mentale, un objet de recherche dont il allait constituer un savoir original et fécond. Ces analyses s’appuient sur de nombreux philosophes, psychologues et sociologues, notamment, mais pas uniquement, ceux qui ont travaillé sur, ou avec Foucault ou ses proches. On peut conclure, avec le préfacier : « Aux antipodes de » la haine de la philosophie « que les philosophes prêtent trop souvent aux sociologues, José Luis Moreno montre ici que la sociologie de la philosophie n’est rien d’autre qu’une façon de prendre au sérieux l’injonction philosophique de se connaître soi-même. »
Foucault
Dans une approche plus directement philosophique, Bernard Vandewalle traite des mêmes objets : les liens entre la façon dont Foucault a étudié la médecine (notamment la médecine mentale) et sa conception de la philosophie. Après deux présentations rigoureuses des travaux de Foucault, « L’archéologie du savoir médical » puis « La généalogie du pouvoir médical », il développe une analyse originale, à la fois dense et stimulante, « La problématisation médicale du sujet ». Pour ce faire, il puise autant dans les textes de jeunesse de Foucault (comme Moreno) que dans ses dernières leçons au Collège de France, pour faire ressortir le « lien étroit » qui « unit la sagesse du philosophe et le soin du médecin ». Cet angle d’approche le conduit à analyser les deux derniers tomes de l’Histoire de la sexualité, parus quelques mois avant la mort de Foucault, comme aptes à « éclairer l’ensemble de sa démarche » ; il résume : « Constitution des savoirs, formation des pouvoirs, création de formes inédites de rapport à soi, tel est le triptyque que Foucault fait apparaître à la fin de son parcours. » Même si on regrette que Vandewalle n’ait pas développé plus précisément les différentes acceptions du concept de « désir » dans l’œuvre de Foucault – au risque d’induire chez un lecteur trop pressé une certaine confusion avec son usage de celui de « plaisir » –, on apprécie particulièrement le court chapitre consacré à la façon dont Foucault a considéré le « régime », s’agissant en particulier des pratiques sexuelles et des pratiques alimentaires, comme un « art du temps » qui ne doit « que se modifier peu à peu » et surtout « en fonction des circonstances ». Alors que des intellectuels contemporains dénoncent l’hégémonie du point de vue médical sur l’imposition de normes de comportement, en particulier dans le domaine sexuel, Vandewalle montre comment, avec le concept de « biopolitique », « la direction philosophique de l’âme et le régime médical ont nombre de points communs » ; et comment, en corollaire, Foucault tente de promouvoir le développement d’un « droit des gouvernés » partout où s’installe une dynamique croisée de savoir et de pouvoir, qui concerne, mais sans exclusive, le domaine médical.
L’ouvrage souligne continûment l’originalité de la démarche de Foucault qui s’appuie davantage sur ce qu’il appelle archives que sur des textes canoniques de sa discipline. Il fait comprendre comment Foucault, s’il a emprunté aux historiens et aux sociologues certaines de leurs procédures d’enquête, ne s’est jamais départi du projet proprement philosophique de son œuvre.
À la suite du colloque international organisé en mai 2004 à Montréal, Alain Beaulieu réunit les contributions de dix-sept chercheurs (sept philosophes, trois politologues, deux sociologues, une anthropologue, un criminologue, un chercheur en littérature comparée, un psychiatre et un omnipraticien), sous forme d’un chapitre ou dans la retranscription d’une table ronde sur les similitudes et distinctions entre les analyses foucaldiennes et la « théorie critique » de la société : quels sont les liens avec les analyses d’inspiration marxiste ? Comme en écho aux analyses de Moreno et Vandewalle, Beaulieu introduit en « avant-propos » quelques anecdotes personnelles sur des services de suivi psychiatrique parisiens, avec un parallèle entre son mode d’entrée dans ce milieu et celui de Foucault. Il est aussi l’auteur d’un chapitre particulièrement riche, « La transversalité de la notion de contrôle dans le travail de Michel Foucault », qui prend place dans la première partie du livre qui en compte cinq : « Droit et politique », « Psychiatrie », « Médecine et intervention », « Recherche et pédagogie », « Perspectives philosophiques ».
Les analyses présentées font ressortir que Foucault n’a pas toujours fait le même usage du concept de contrôle. Ainsi, à propos du système disciplinaire, il lui arrive de situer le contrôle avant l’invention de la prison, et non seulement au sein même de la logique carcérale, mais aussi de l’assimiler à un ensemble de techniques indépendantes du pouvoir disciplinaire, par exemple dans Le souci de soi. Plusieurs chapitres établissent des mises au point sur la façon dont ont pu varier les acceptions de concepts mobilisés par Foucault ; ces variations font partie intégrante de sa démarche : en avançant, selon ses propres termes, « de façon latérale, comme une écrevisse », plutôt que l’affronter de façon directe, il traite du contrôle social comme en le harcelant de diverses parts, en l’enserrant, en l’assiégeant. Les liens à relever entre les premiers travaux de Foucault (sur le pouvoir psychiatrique, puis sur la prison) et ses derniers objets d’analyse (le libéralisme, le gouvernement de soi) sont synthétisés par Beaulieu ; il met en lumière une « double lecture » de Surveiller et punir, qui permet de renouveler l’analyse des questions de contrôle : « Par contraste avec les théories générales du contrôle social, aucune classe ou aucun groupe déterminé ne possède le contrôle [...] au contraire tous les membres de la société participent au fonctionnement de l’appareil disciplinaire. » Différents chapitres de l’ouvrage montrent que ces analyses peuvent être extrapolées bien au-delà de l’espace carcéral, en particulier au sujet du pouvoir, thème récurrent de la pensée foucaldienne. Ainsi, Louise Blaise montre comment, pour Foucault, le pouvoir « n’est pas le privilège d’une classe dominante », il « ne s’applique pas comme interdiction à ceux qui ne l’ont pas ; il les investit et passe par eux via un dispositif symbolique qui les marque et qui forge les représentations ». Dans la table ronde, Yves Charles Zarka invite à relire, dans le dernier Foucault, ce qu’il dit de l’éthique du « souci de soi » : « Est-ce que le plus grand pied de nez qu’on puisse faire au pouvoir, la manière privilégiée de le priver de toute substance, n’est pas précisément de se soucier de soi ? »
On retrouve ces questions dans le petit livre de Philippe Chevallier ; en moins d’une centaine de pages, denses et stimulantes, il montre comment, sans que Foucault ait écrit « deux histoires parallèles : une selon le modèle de la bataille, l’autre selon le modèle du pouvoir », on peut repérer le jeu de ces deux « modèles » dans son œuvre. Il souligne la proximité de Foucault avec Søren Kierkegaard, sur qui il avait travaillé : tous deux accordent de l’importance à la fois au contenu scientifique des productions (le savoir) et aux modalités de ses présentations, qui déterminent l’ « effet » produit chez ceux qui le reçoivent (le pouvoir). Il relève « l’ambiguïté sémantique » de l’expression « effet de vérité », qui souligne « la délicate articulation entre la vérité scientifique de l’historiographie et sa vérité politique ». Foucault se définissait comme « militant et professeur au Collège de France », ce qu’illustre son implication au sein du Groupe d’information sur les prisons, travail d’investigation minutieux qui s’apparente à une enquête scientifique ou judiciaire, mais sans la prétention à l’impartialité ; il relève, dans les Dits et Écrits : « Il ne faut plus laisser les prisons en paix, nulle part [...]. Notre enquête n’est pas faite pour accumuler des connaissances, mais pour accroître notre intolérance et en faire une intolérance active. »
Comme Vandewalle et Zarka y voyaient des éléments pour réfléchir sur le pouvoir, Chevallier trouve dans les derniers tomes de l’Histoire de la sexualité des éléments pour montrer l’importance de la bataille. Il les relève à travers le concept de parrhésia, qu’il propose de traduire par « style d’existence » ; ce style est « opposition systématique, scandale permanent, protestation sans médiation ». Mais, si l’épilogue du livre est intitulé « On a raison de se soulever », Chevallier invite à ne pas oublier que Foucault, parallèlement aux batailles où il s’est engagé, a lui-même emprunté à plusieurs reprises la voie du pouvoir, participant par exemple « modestement et prudemment aux débats sur la pénalité, sans mépris pour les solutions institutionnelles temporaires et réformables. Il y a un temps pour tout ».
Les points sur lesquels les batailles qu’a menées Foucault ont eu le plus de retentissement se trouvent au cœur même de la philosophie ; dans La pensée Foucault, Guillaume Le Blanc montre comment elle s’est trouvée métamorphosée : « La question que nous pose Foucault est la suivante : est-il possible d’envisager la philosophie comme une pensée ? » L’originalité de la démarche réside dans l’inversion de l’injonction habituelle, qui vise à promouvoir la pensée en philosophie. Pour Guillaume Le Blanc, Foucault prend à bras-le-corps la discipline en la frottant à d’autres disciplines, qui peuvent, selon les situations, la contester ou la renforcer, mais qui, dans la plupart des cas, permettent des orientations nouvelles, aptes à lui donner davantage de prise avec le quotidien, même au prix de complications, qui ont parfois entraîné quelques confusions chez les lecteurs. Reprenant en introduction une injonction du maître : « Il faudra bien un jour essayer de définir ce qu’est cette “pensée du dehors” », il développe huit chapitres traitant de différents usages de la philosophie (la question de la pratique et celle de l’écriture), de l’assujettissement, de la défense sociale, des sciences humaines, de sexualité, du pouvoir médical et du libéralisme. Ce balayage pourrait paraître éparpillé – et ce ne serait pas forcément un défaut ; en fait, il pose les jalons d’un cheminement débouchant sur une conclusion intitulée « Foucault, les Lumières et nous », qui fait ressortir la « double actualité » de Foucault par rapport aux Lumières. Si la première avait été traitée presque de front par Foucault dans sa réponse à la question « Qu’est-ce que la critique ? [...] l’art de n’être pas tellement gouverné », la seconde est plus nouvelle et apporte une lecture originale des méandres de la pensée foucaldienne : « Nos Lumières ne sont ni l’attitude critique, ni la discipline, ni la gouvernementalité, mais un mixte de ces trois formes qui interdit définitivement toute version simplifiée des Lumières. »
Pris séparément, chacun de ces ouvrages est riche d’enseignements. Ils forment aussi un ensemble complémentaire qui aide à mieux comprendre l’œuvre de Foucault saisie autour de l’articulation entre savoir et pouvoir, souvent difficile à synthétiser dans la mesure où ont varié plusieurs de ses approches conceptuelles.
Philippe COMBESSIE.

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