Je veux remercier le Collège d’Espagne, la responsable de Culture Madame Stéphanie Migniot, ma chère amie ; le directeur Monsieur Javier de Lucas, titulaire de la Chaire de Philosophie du droit de l’Université de Valence et Monsieur Robert Castel -que vous connaissez et lisez tous,- qui nous honorent aujourd’hui de leur présence. Je veux aussi remercier le personnel de l’Institution qui accueille, une fois encore, une activité liée à la sociologie critique.
J’ai eu la chance d’être résident au Collège d’Espagne et je suis très touché qu’on puisse tenir ce premier séminaire de sociologie critique dans cette institution de la culture espagnole qui a joué un rôle capital dans la transmission culturelle entre les générations au XXème siècle.
L’idée de ce séminaire est née d’une préoccupation : comment maintenir un modèle de sociologie aujourd’hui parfois mise en question, au moins en France ? La personne de Gérard et la sympathie qui nous rassemble autour de lui ne sont pas la seule raison d’être de ce colloque. En fait, nous allons discuter des travaux de Gérard Mauger mais nous pourrions y ajouter l’examen d’autres travaux partageant un « air de famille » avec les siens et liés à une manière de faire de la sociologie à laquelle les organisateurs ne veulent pas renoncer.
Un résident de cette institution, le grand philosophe Xavier Zubiri, s’est posé –peut-être le texte a été écrit pendant son séjour ici au moment de la Guerre civile, quand il travaillait avec Émile Benveniste et Louis de Broglie- une question similaire. Quel rapport entretient-on avec l’histoire culturelle ? Au fond, qu’est-ce qu’un héritage intellectuel ? Le passé ne peut pas être objet de vénération. On a des choses plus importantes à faire, insistait Zubiri, si on veut être justifié en tant qu’intellectuel. Tout ce qui est objet de vénération se transforme très facilement en contrainte, dogmatisme. Au fond, disait Zubiri, Hölderlin avait raison quand il appelait à la rébellion contre les grecs. Une bonne histoire, avait enseigné le maître de Zubiri, Ortega y Gasset, doit nous montrer combien nous sommes éloignés des autres époques, au point de ne pas les comprendre ; et si nous comprenons les questions de nos prédécesseurs, celles-ci nous semblent complètement extravagantes. Le passé ne nous enseigne rien sauf que des hommes ont dû répondre, avec certains instruments, des instruments que nous ne voulons pas –nous en avons de meilleurs- ou nous ne savons déjà plus utiliser (ce n’est pas nécessaire sauf pour les fétichistes), à des circonstances qui ne sont déjà plus les nôtres, qui parfois ne ressemblent en rien aux nôtres. Une bonne histoire doit nous enseigner que le passé est aussi loin de nous.
Aujourd’hui, écrivait Zubiri, nous n’avons ni l’humeur ni le temps pour nous occuper des classiques, encore moins, pour en canoniser des nouveaux.
Ce qu’on recherche dans le passé c’est une autre dimension de la vie intellectuelle. Le présent n’est q’un ensemble de possibilités que le passé nous a laissé. Parfois le passé ne nous a rien laissé ; son histoire ce sont des réponses ajustées à une conjoncture au-delà duquel rien ne nous intéresse. Mais parfois le passé nous a laissé des manières de se confronter au monde encore nécessaires. Elles le sont au point que nous ne pouvons y renoncer qu’au prix d’une régression historique. Parce que de ce point de vue, ce qu’on a commencé il y a longtemps est encore notre présent, ce que nous avons de mieux pour regarder le monde. Les grecs, disait Zubiri, ne sont pas nos classiques. S’ils le sont ça ne nous intéresse pas. Ce qui nous intéresse c’est que nous sommes les grecs ; nous avons une manière de regarder qui a été élaborée par eux.
Si la sociologie critique à quelque chose à nous apporter, c’est qu’elle propose des manières de regarder, qu’on ne peut pas perdre sans régression. Des manières de regarder le monde (l’histoire déposée dans le présent) et des manières ou des incitations pratiques à examiner nos instruments de pensée. Il faut alors savoir comment faire pour les actualiser, sans canoniser, sans vénérer mais aussi sans oublier ce qui peut nous permettre de développer des formes rationnelles de connaissance du monde.
La seule manière de le savoir est de lire, de discuter et de mettre à l’épreuve (dans de nouvelles enquêtes). Aujourd’hui les colloques mondains, dits scientifiques, explique Passeron dans un texte excellent, s’engagent dans des polémiques sur la vérité ultime du monde ou le fondement dernier des discours. Attitude typique de ceux qui veulent, toujours et à chaque rentrée, remettre le compteur à zéro dans les sciences sociales. La seule manière d’interroger un discours scientifique est d’examiner sa cohérence logique et de savoir s’il produit des informations sur le monde social, s’il permet – et avec quel degré pertinence - de se confronter à d’autres discours et d’autres contextes de recherches et, enfin, de savoir comment, s’il le fait, il nous aide à rendre intelligibles des réalités opaques. Ou encore de savoir si ce discours scientifique permettra de produire plus informations, plus de connaissances et plus d’intelligibilité utilisé d’une autre manière, dans une autre conjoncture ou reformulé en fonction de nouveaux problèmes.
Il s’agit de savoir s’il est encore une partie de notre présent.
C’est ce que nous voudrions faire au cours de ces deux journées consacrés autour des travaux de Gérard Mauger.
J’ai eu la chance d’être résident au Collège d’Espagne et je suis très touché qu’on puisse tenir ce premier séminaire de sociologie critique dans cette institution de la culture espagnole qui a joué un rôle capital dans la transmission culturelle entre les générations au XXème siècle.
L’idée de ce séminaire est née d’une préoccupation : comment maintenir un modèle de sociologie aujourd’hui parfois mise en question, au moins en France ? La personne de Gérard et la sympathie qui nous rassemble autour de lui ne sont pas la seule raison d’être de ce colloque. En fait, nous allons discuter des travaux de Gérard Mauger mais nous pourrions y ajouter l’examen d’autres travaux partageant un « air de famille » avec les siens et liés à une manière de faire de la sociologie à laquelle les organisateurs ne veulent pas renoncer.
Un résident de cette institution, le grand philosophe Xavier Zubiri, s’est posé –peut-être le texte a été écrit pendant son séjour ici au moment de la Guerre civile, quand il travaillait avec Émile Benveniste et Louis de Broglie- une question similaire. Quel rapport entretient-on avec l’histoire culturelle ? Au fond, qu’est-ce qu’un héritage intellectuel ? Le passé ne peut pas être objet de vénération. On a des choses plus importantes à faire, insistait Zubiri, si on veut être justifié en tant qu’intellectuel. Tout ce qui est objet de vénération se transforme très facilement en contrainte, dogmatisme. Au fond, disait Zubiri, Hölderlin avait raison quand il appelait à la rébellion contre les grecs. Une bonne histoire, avait enseigné le maître de Zubiri, Ortega y Gasset, doit nous montrer combien nous sommes éloignés des autres époques, au point de ne pas les comprendre ; et si nous comprenons les questions de nos prédécesseurs, celles-ci nous semblent complètement extravagantes. Le passé ne nous enseigne rien sauf que des hommes ont dû répondre, avec certains instruments, des instruments que nous ne voulons pas –nous en avons de meilleurs- ou nous ne savons déjà plus utiliser (ce n’est pas nécessaire sauf pour les fétichistes), à des circonstances qui ne sont déjà plus les nôtres, qui parfois ne ressemblent en rien aux nôtres. Une bonne histoire doit nous enseigner que le passé est aussi loin de nous.
Aujourd’hui, écrivait Zubiri, nous n’avons ni l’humeur ni le temps pour nous occuper des classiques, encore moins, pour en canoniser des nouveaux.
Ce qu’on recherche dans le passé c’est une autre dimension de la vie intellectuelle. Le présent n’est q’un ensemble de possibilités que le passé nous a laissé. Parfois le passé ne nous a rien laissé ; son histoire ce sont des réponses ajustées à une conjoncture au-delà duquel rien ne nous intéresse. Mais parfois le passé nous a laissé des manières de se confronter au monde encore nécessaires. Elles le sont au point que nous ne pouvons y renoncer qu’au prix d’une régression historique. Parce que de ce point de vue, ce qu’on a commencé il y a longtemps est encore notre présent, ce que nous avons de mieux pour regarder le monde. Les grecs, disait Zubiri, ne sont pas nos classiques. S’ils le sont ça ne nous intéresse pas. Ce qui nous intéresse c’est que nous sommes les grecs ; nous avons une manière de regarder qui a été élaborée par eux.
Si la sociologie critique à quelque chose à nous apporter, c’est qu’elle propose des manières de regarder, qu’on ne peut pas perdre sans régression. Des manières de regarder le monde (l’histoire déposée dans le présent) et des manières ou des incitations pratiques à examiner nos instruments de pensée. Il faut alors savoir comment faire pour les actualiser, sans canoniser, sans vénérer mais aussi sans oublier ce qui peut nous permettre de développer des formes rationnelles de connaissance du monde.
La seule manière de le savoir est de lire, de discuter et de mettre à l’épreuve (dans de nouvelles enquêtes). Aujourd’hui les colloques mondains, dits scientifiques, explique Passeron dans un texte excellent, s’engagent dans des polémiques sur la vérité ultime du monde ou le fondement dernier des discours. Attitude typique de ceux qui veulent, toujours et à chaque rentrée, remettre le compteur à zéro dans les sciences sociales. La seule manière d’interroger un discours scientifique est d’examiner sa cohérence logique et de savoir s’il produit des informations sur le monde social, s’il permet – et avec quel degré pertinence - de se confronter à d’autres discours et d’autres contextes de recherches et, enfin, de savoir comment, s’il le fait, il nous aide à rendre intelligibles des réalités opaques. Ou encore de savoir si ce discours scientifique permettra de produire plus informations, plus de connaissances et plus d’intelligibilité utilisé d’une autre manière, dans une autre conjoncture ou reformulé en fonction de nouveaux problèmes.
Il s’agit de savoir s’il est encore une partie de notre présent.
C’est ce que nous voudrions faire au cours de ces deux journées consacrés autour des travaux de Gérard Mauger.
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