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HEIDEGGER ET BOURDIEU


(Publié dans l'Abécédaire de Pierre Bourdieu, Paris, Les Editions Sils Maria / Vrin, 2006)

Heidegger est une des sources d’inspiration phénoménologique de la sociologie de Bourdieu. Il a été aussi l’un de ses objets d’analyse sociologique. Bourdieu a consacré au philosophe un livre dont l’écho a été considérable : L’ontologie politique de Martin Heidegger (Paris, Minuit, 1988). Dans ce texte, Bourdieu a exposé les grandes lignes de sa sociologie de la philosophie tout en l’a appliquant à l’un des plus grands penseurs du XXe siècle. L’analyse sociologique que Bourdieu fait de Heidegger peut se résumer en quatre mouvements.
En premier lieu, il situe la production philosophique de Heidegger dans son environnement spécifiquement philosophique. Ce faisant, Bourdieu évite l’écueil d’une sociologie de la philosophie réductionniste. Selon lui, Heidegger a produit une révolution conservatrice en philosophie en plaçant au centre du système kantien la temporalité existentiale. Ainsi, Heidegger s'approprie Kant et renverse la hiérarchie des valeurs entre science et philosophie. Ainsi transforme-t-il Kant, philosophe de référence du néo-kantisme positiviste de son temps (pour qui la philosophie dépendait de la science), en caution d’une philosophie —celle de Heidegger— qui défendait de manière agressive le primat de la philosophie par rapport aux sciences positives.

En deuxième lieu, il montre comment le talent de Heidegger est —aussi— le produit d’une trajectoire sociale peu commune. Heidegger fut un intellectuel de première génération, c’est-à-dire le produit d’une trajectoire ascendante à travers des mondes sociaux variés : ainsi peut-on comprendre le caractère polyphonique de son message, saturé de références érudites et d’allusions politiques masquées, d’évocations poétiques et de termes à résonance rurale. Le langage académique fonctionnait chez Heidegger comme un code avec lequel il gardait une relation distante, comme s’il s’agissait d’une deuxième langue distincte de l’originale : cette distance sociale vis-à-vis du monde académique aida son auteur à ne pas rester enfermé dans les oppositions qui organisaient le champ intellectuel de son époque.

En troisième lieu, il explique comment l’expérience sociale filtre à travers le système de catégories qui organisent la philosophie de Heidegger. Son discours est chargé d’oppositions primitives mais distillées avec virtuosité dans un discours philosophique. Les règles de l’art philosophique se manifestent donc de manière magistrale chez Heidegger, mais cela ne l’empêche pas d’être un idéologue. C’est que le double sens du langage heideggérien continue à opérer et l’idéologie réactionnaire vient même se loger en filigrane des tours et des polyphonies d’un commentaire érudit sur Aristote. Bourdieu arrive ainsi à montrer ce qui fait d’une grande philosophie un discours politique, tout en indiquant ce qui la sépare de l’essayisme pamphlétaire. Entre le simple exposée essayiste de fantasmes sociaux et la formalisation philosophique d’une pensée, il y a une grande distance que la sociologie ne saurait ignorer. Le travail de formalisation des pulsions expressives épure les productions culturelles et la sociologie se trompe lorsqu’elle se livre à des réductions brutales d’un philosophe à la pure et simple idéologie. Mais si la censure refoule les pulsions de l’auteur, elle ne les élimine pas. Elles continuent à hanter les jeux de mots et les classifications qui les sous-tendent. Par exemple, l’opposition heideggérienne entre l’existence authentique et l’existence inauthentique se nourrit du vieux topos élitiste de la distance entre masses et élites, mais elle le fait sur un mode qui interdit toute lecture directe, sans cesser toutefois de faire allusion subrepticement aux fantasmes brutalement sociologiques qui se trouvent à son fondement. Seule une double lecture, capable de rendre compte du degré de censure du texte comme de l’insistance des significations déniées, mais pas éliminées, peut rendre justice aux conquêtes autonomes de la pensée sans tomber dans la pure célébration des idiolectes philosophiques.

En quatrième lieu, Bourdieu délimite la façon dont Heidegger se situe dans l’espace des possibles de la tradition des discours philosophiques et comment il définit une position qui fera fortune en philosophie après lui. Heidegger est la figure de proue philosophique d’une position discursive qui octroie au philosophe le statut d’administrateur d’une tradition de textes philosophiques susceptibles d’un commentaire interminable et, en même temps, il est l’émetteur du sens authentique de cette tradition. Ainsi Heidegger « donne sa justification la plus haute à l’une des formes les plus prestigieuses de la pratique typiquement professorale du commentaire : elle encourage le lector à se penser comme un authentique auctor[1] ». Grâce à Heidegger, de nombreux philosophes trouveront plus urgent de disserter sur une traduction du grec ou de l’allemand que d’apprendre quelque chose en économie, en sociologie ou en physique. Et paradoxalement, cette lacune ne les empêchera en rien d’annoncer les énormités les plus péremptoires sur la manière dont les sciences déterminent un monde soumis à l’«ère de la technique».

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[1] P. Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Éditions du Seuil, 1997, p. 58.

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